23/08/2016
Bien décidés à obtenir un « juste prix » du lait, des agriculteurs campent à proximité de l’usine Lactalis de Laval. Ceux qui perdent actuellement de l’argent en travaillant appellent « le plus mauvais payeur » à « revenir à la tables des négociations » dans un contexte général de baisse des cours du lait.
Mais quel est le juste prix du lait quand, au rayon frais de votre supermarché, les prix varient du simple au double ? Quand le pouvoir d’achat stagne depuis des années, le consommateur choisit bien souvent avec son porte-monnaie. Pourtant, acheter du lait peut devenir un acte engagé. Sans se ruiner.
Aider les producteurs à vivre décemment de leur travail, c’est d’abord bien décrypter les étiquettes. Pour le bio, qui rémunère le mieux les paysans, c’est simple, c’est écrit en très gros. Pour le lait issu des coopératives, il faut souvent s’armer de ses lunettes. Voici quelques pistes pour se décider.
Les bienfaits du bio
Le bio, c’est bon : pour la santé mais aussi pour les agriculteurs. Et c’est facile à trouver, c’est écrit en très gros sur les bouteilles. Le bio n’est plus seulement un produit de niche, comme le prouve l’offre élargie dans les rayons des supermarchés, avec des prix en baisse. A chaque crise du lait, de nouveaux producteurs se tournent vers le bio. Pour eux, c’est souvent ça ou bien mettre la clé sous la porte.
Les éleveurs qui sont passés à l’agriculture biologique s’en sortent mieux que les autres alors qu’en France, environ 80% de la production des produits laitiers reste standardisée.
« Ça va bien chez nous… même si c’est gênant de le dire par rapport au désastre que vivent les autres », déclare Gérard, 58 ans, agriculteur bio près de Nantes.
Le conventionnel, Gérard connaît bien. Il l’a pratiqué :
« On appliquait ce qu’on nous disait de faire mais avec l’intensif, ce n’est jamais fini. Il faut toujours plus pour gagner la même chose. En fait, on travaille pour payer toujours plus d’engrais. »
Depuis son virage vers le bio entamé en 2008, il a retrouvé de l’autonomie dans sa ferme de Fégréac. En conventionnel, les mille litres de lait tournent autour de 270 euros. Depuis qu’il a rejoint le réseau Biolait, il les vend en moyenne 435 euros, pour un prix de revient de 340 euros. Avec sa femme, sur leur exploitation de 79 hectares, ils parviennent à se dégager entre 30 et 35.000 euros de salaire annuel pour le couple, soit deux emplois à plein temps pour s’occuper de leurs 65 vaches laitières.
Biolait fait partie de ceux qui payent le mieux les producteurs. La coopérative de collecte a signé des partenariats avec le distributeur Biocoop mais aussi Système U. Elle représente aujourd’hui quelque 1.150 producteurs et 70 transformateurs livrés avec plus de 200 produits et marques de produits laitiers.
Le petit « plus » des coopératives
Le bio n’est pas seul à rémunérer correctement les producteurs. C’est aussi le cas pour le lait collecté par une coopérative. Mais attention, il faut ouvrir l’œil, et le bon ! Cette information n’est pas facile à repérer sur l’étiquette de la bouteille ou du fromage ! Pour le moment, la provenance de lait collecté par une coopérative n’est identifiable que pour celles qui ont choisi de communiquer.
« Mais nous sommes en train de développer cet élément différenciateur », promet Dominique Chargé, président de la FNCL (Fédération nationale des coopératives laitières).
Les coopératives doivent, elles aussi, faire face à la volatilité des prix liées à l’exposition aux marchés internationaux. La fin des quotas en Europe a provoqué une augmentation de la production alors que le marché russe a été fermé par l’embargo, tandis que la demande chinoise a connu une forte baisse. L’abondance de l’offre induit une baisse des prix. Un chiffre permet de mesurer la dégradation des cours : la poudre de lait est passée de 3.200 à 1.700 euros la tonne.
« Nous sommes sur les mêmes marchés que les autres donc, quand la situation est mauvaise, nous sommes aussi touchés », concède Dominique Chargé.
La coopérative permet cependant de limiter le nombre d’intermédiaires et de mieux répartir la valeur :
« La coopérative appartient aux agriculteurs. Elle est le prolongement de l’exploitation agricole », note le défenseur de la coopération.
Acheter les produits d’une coopérative permet de privilégier un axe économique responsable qui implique les agriculteurs et leur apporte une certaine stabilité. En cas de coup dur, comme c’est le cas actuellement, les membres d’une coopérative peuvent décider de modifier la répartition des bénéfices, réduisant la part destinée à l’investissement pour jouer sur le prix du lait. Elle autorise aussi des avances et des différés de paiement des achats pour franchir le cap.
La différence de prix du lait payé aux producteurs entre une coopérative et un industriel est ainsi assez significative : jusqu’à 10 euros les 1.000 litres.
Le consommateur engagé
Bientôt dans les rayons, le lait « qui rémunère au juste prix son producteur ». Tel est le pari de Nicolas Chabanne et Laurent Pasquier, du collectif des « Gueules cassées » qui, après avoir pris la défense des fruits et légumes moches, lancent « La marque du consommateur » avec un premier produit en cours de création : un lait « bon et responsable ».
Sur internet, ils ont demandé aux consommateurs d’établir un cahier des charges. Bouteille ou brique ? A vous de choisir. A vous aussi de décider de la rémunération du producteur, de l’alimentation des vaches (avec ou sans OGM ?), de l’origine des fourrages. Un produit conçu pour, et par le consommateur : « C’est qui le patron ? » C’est nous.
L’engagement du tandem est de parvenir à payer le litre de lait au producteur entre 3 et 7 centimes de plus que le cours en vigueur – qui oscille actuellement autour de 270 euros les mille litres. Le prix de vente annoncé sur le site est de 69 centimes. Pour y parvenir, ils ont mis en place un cahier des charges « durable et responsable » avec l’ensemble de leurs partenaires. Le lait de « La marque du consommateur » est attendu dans les rayons au mois d’octobre.
Fini, les intermédiaires !
Reste que quand on achète sa bouteille de lait directement chez le producteur, on sait qu’on paie directement… le producteur. Fini les intermédiaires entre l’éleveur et le consommateur. Mais tout le monde n’a pas la chance d’avoir une ferme au bout de sa rue. Pourtant, même en ville, il est possible de privilégier les filières courtes et ainsi, de valoriser la production paysanne tout en limitant les intermédiaires.
Présentes dans de nombreux centres urbains, les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) permettent la rencontre entre les consommateurs et les producteurs, avec des prix fixés de manière équitable. On peut ainsi trouver un litre de lait cru pour un peu plus d’un euro mais aussi des produits transformés, des fromages aux yaourts en passant par la crème fraîche.
La vente directe aide aussi certains producteurs à se diversifier et à augmenter leurs revenus. Ainsi, alors qu’ils écoulent plus de 90% de leur lait auprès de la grande distribution, en vendant directement le reste en lait ou fromages, ils peuvent réaliser jusqu’à 30% de leur chiffre d’affaires. »
Louis Morice