En ce vendredi après-midi venteux et pluvieux, Nicolas Chabanne marche sur l’eau. Au propre comme au figuré. En visite sur l’exploitation laitière de la famille Comte, à Haut-Bocage (Allier), l’un des 3.000 producteurs rémunérés au juste prix grâce à la démarche qu’il a initiée en 2016, le natif de Moulins se joue des éléments. Et des flaques.
Exactement comme il a su contourner et finalement bousculer les poids lourds de l’agroalimentaire français avec sa marque consommateur. Depuis trois ans, « C’est qui le patron ?! » connaît une trajectoire qui tient du surnaturel.
Après la brique de lait, 34 autres déclinaisons ont suivi. Du steak haché au vin, en passant par les yaourts ou le beurre, 150 millions de produits ont été vendus en trois ans. « Selon le cabinet Nielsen, ce sont les plus fortes ventes de l’histoire de l’agroalimentaire pour une marque nouvelle », savoure le trublion.
Inséparable de Nikos Aliagas
Celui qui est devenu inséparable de Nikos Aliagas sur les bancs de la Sorbonne partage avec son télégénique comparse une capacité certaine à braquer les projecteurs sur lui. Pour la bonne cause. Son truc ? Être utile à la société.
Après avoir créé des stations de lavage solidaires dans le Vaucluse, où il a grandi, Nicolas Chabanne s’est fait les dents dans l’alimentaire en lançant les « Gueules cassées ». Ces légumes moches, qui finissaient à la poubelle, retrouvent leur droit de cité dans les supermarchés. « Aussi bons, mais 30 % moins chers. 10 millions de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année en France. De quoi remplir le stade de France », rappelle-t-il.
Le New York Times lui consacre un papier. Explosion médiatique planétaire garantie. Mais lui est déjà passé à autre chose. « Je suis là pour créer, pas pour exploiter », reconnaît ce touche-à-tout compulsif qui doit à un conseiller du ministère de l’Agriculture l’exploration de son filon le plus prometteur.
« Il m’a demandé si je n’avais pas une solution pour aider les producteurs laitiers. J’ai demandé combien il leur manquait par litre. La réponse était 8 centimes. Avec 50 litres par an et par habitant, j’ai calculé qu’il suffisait de mettre 4 euros de plus par an pour que les éleveurs vivent correctement de leur métier. »
« Sans publicité et sans aucun commercial »
L’aventure « C’est qui le patron ?! » était lancée. Avec une arme secrète à fragmentation : redonner le pouvoir au véritable patron, le consommateur. Par le biais d’un questionnaire sur internet, c’est lui qui établit le cahier des charges des produits, en fixe le prix et assure, par ricochet, une rémunération décente aux agriculteurs. Mieux, c’est également lui qui va s’assurer de l’implantation en magasin. « Nous avons réussi tout ça, sans publicité et sans aucun commercial, simplement grâce aux 10.000 sociétaires de notre coopérative et aux réseaux sociaux », rigole l’homme-orchestre.
Alors que huit pays ont déjà adopté le concept, dont les États-Unis, Nicolas Chabanne voit désormais plus loin. Et plus grand. Avec son « Atelier consommateur et citoyen », il entend désormais décerner une certification aux entreprises vertueuses en matière de cahier des charges, de durabilité et de rémunération des agriculteurs. « Beaucoup se bousculent déjà », avance-t-il, pas mécontent de son effet.
« Au nom de la terre a touché les gens »
La démarche équitable de la marque « C’est qui le patron ?! » fait écho au film d’Édouard Bergeon, Au nom de la terre, qui relate l’histoire dramatique d’un éleveur campé par Guillaume Canet. « C’est un film qui a touché les gens car il montre que le monde agricole n’est pas facile et qu’il faut des démarches comme « C’est qui le patron ?! pour lui redonner espoir », avance Thierry Comte, qui accueillait hier Nicolas Chabanne sur son exploitation.
Engagé depuis deux ans dans cette démarche, l’éleveur laitier bourbonnais a déjà vu son quotidien changer. « La première année, seulement 15 % de ma production étaient valorisés sous cette marque. Je suis monté à 40 %. Comme il y a cinquante euros d’écart à la tonne par rapport au prix de base, cela fait 35.000 euros de plus sur l’année. C’est vital si on veut installer des jeunes comme mon fils et leur donner de la visibilité. »