LIBÉRATION – L’introuvable juste prix du lait

Source : Par7930477
28/08/2016

« Après les producteurs de porc, c’est au tour des producteurs de lait de rentrer dans la danse et de dénoncer un système devenu fou qui ne leur permet plus de vivre décemment de leur travail.

 

À chaque saison sa crise agricole. Après les producteurs de porc, c’est au tour des producteurs de lait de rentrer dans la danse et de dénoncer un système devenu fou qui ne leur permet plus de vivre décemment de leur travail. C’est le géant laitier Lactalis qui aura été le déclencheur d’un mouvement dont l’ampleur ne mollit pas, bien au contraire. En refusant de s’aligner sur le prix de 300 euros les 1 000 litres que les agriculteurs jugent le minimum vital pour couvrir leur coût de production, Lactalis illustre la déconnexion tragique entre des agro-industriels aux stratégies mondialisées et des producteurs soumis aux aléas du marché et incapables de s’adapter à un productivisme de plus en plus féroce. Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a certes raison d’insister sur le fait que Lactalis devrait payer le juste prix. « Lactalis est le numéro 1 mondial des produits laitiers, c’est une laiterie qui en France paye le litre de lait le plus bas de toutes les laiteries françaises », a-t-il martelé samedi lors d’un comice agricole dans la Sarthe. « Je considère que ce n’est pas acceptable et qu’il doit y avoir de la part de Lactalis l’effort qui consiste à se mettre au niveau de tous les autres ».

 

Mais comme l’explique à Libération l’économiste Vincent Chatellier, spécialiste de la filière laitière à l’Inra de Nantes, ce n’est pas Lactalis ni même l’ensemble des transformateurs français qui peuvent corriger à eux seuls les graves déséquilibres apparus depuis 2015 sur le marché international du lait. La filière laitière française, une filière performante à la balance commerciale largement excédentaire et qui compte deux géants mondiaux avec Lactalis et Danone, n’a pourtant pas lésiné sur sa modernisation ces dernières années. De 380 000 exploitations au moment de la mise en œuvre des quotas en 1983, on est passé à 63 000 qui produisent autant de lait avec six fois moins de producteurs aujourd’hui. Et malgré les 40 000 euros d’aide annuelle moyenne de la PAC, soit 3 000 euros par mois par agriculteur, les producteurs n’arrivent plus à s’en sortir.

 

Alors à qui la faute ? À l’Irlande et aux Pays-Bas, à l’origine d’une hausse massive de la production européenne pour compenser la chute des cours ? À la baisse de la demande chinoise ? À l’embargo russe ? Si ces facteurs géopolitiques ont toute leur importance, il en est un sur lequel on reste étonnamment discret : le refus de la grande distribution d’appliquer des prix justes en transférant aux consommateurs une partie des coûts de production. L’initiative de « La Marque du Consommateur », une nouvelle référence de lait que l’on trouvera dans une chaîne de supermarchés à l’automne, permettra au consommateur de définir lui-même le cahier des charges et en fin de compte la rémunération du producteur. Reste à savoir si ce produit dont on saura vraiment tout trouvera preneur. Ajouter quelques centimes pour permettre aux producteurs de vraiment vivre de leur métier : chiche ? »

CHRISTOPHE ALIX

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