LE DAUPHINÉ – Le pouvoir aux consommateurs !

« Rencontre avec Nicolas Chabanne, le patron de « C’est qui le Patron ?! », entrepreneur en série qui vendrait du sable au Sahara et qui bouscule tranquillement les vérités du marketing et de la politique.

11/08/2019

On interview pas Nicolas Chabanne, on l’écoute. Et on l’enregistre, tant le débit est élevé. Parfois, on parvient tout de même à glisser une question, et il vous donne l’impression que c’est la question la plus intelligente qu’on lui a jamais posée.

Nicolas Chabanne, 40 ans, vendrait du sable au Sahara. L’erreur serait de le cantonner à ce rôle. Car cet Ardéchois d’origine est d’abord un défricheur, un entrepreneur en série. Il a promu la fraise de Carpentras, où il a décroché le bac, son dernier diplôme. Il a créé le label « Le Petit Producteur », qui innove en collant la photo dudit producteur (100% français) sur l’emballage. Il a lancé « Les Gueules cassées », destiné à vendre les fruits et légumes moches…

 

Des briques venues de l’Ain

Et puis il y a eu la marque du consommateur. Le récit de la naissance set beau comme un conte : « Un soir de juin 2014, je ne dormais pas. J’étais à ma fenêtre devant le mon Ventoux et je me suis dit… » Il se dit que le prix du lait ne permet pas de vivre à ceux qui le produisent. Et que des consommateurs seraient sans doute prêts à payer un peu plus cher, surtout qu’ils maîtrisaient l’opération.

La première brique de lait conçue selon ce principe avec un éleveur de l’Ain, sort en 2016. Elle est désormais chez tous les grands distributeurs. Une trentaine de produits ont suivi : jus de pomme, chocolat, steak haché… Récemment, les sociétaires de la coopérative votaient l’augmentation du prix du beurre bio (de 2,20 à 2,94 € la plaquette !) afin de rester fidèles au principe.

 

La « murmuration des oiseaux »

La clé du succès. D’abord, « ce socle de bon sens et de bienveillance que nous avons tous »/ Ensuite, le mise en commun dans la co-construction des projets et des produits, désormais permise par les réseaux sociaux : « Et là, vous avez cette énergie phénoménale, cette envie collective de se mobiliser, et vous êtes plus fort que tout. »

Il nomme ça la « murmuration », mot tiré de l’ornithologie : « Les grands vols d’étourneaux réalisent des figures millimétrées, où aucun oiseau ne rentre dans l’autre. Et les scientifiques ont montré qu’il n’y a pas un oiseau qui dirige les autres, mais une forme d’intelligence collective qui permet de faire ce qu’aucun individu seul ne pourrait organiser. C’est ça, notre histoire. »

Ne demandez pas de chiffres à Nicolas Chabanne, il dit ne pas les connaître.

 

« Enlevez-nous cette pub qui nous prends pour des couillons ! » Nicolas Chabanne

 

Par exemple le chiffre d’affaires, qui est généré par un pourcentage de 5 % sur les ventes de produits « C’est qui le Patron ?! » et de 2% sur ceux respectant le cahier des charges ? « Je n’ai pas fait le calcul… Autour de 6 millions depuis le début. »

Les bénéfices ? « On a fait une réserve, pour éviter d’en appeler aux actionnaires et aux banques » et le reste finance le développement des contrôles et de la pédagogie, par des ateliers et une TV.

On chute sur Rimbaud

« Bien sûr que ça fait rêver le monde politique, reconnait-il. Imaginez un programme politique qui prévoit, à côté de chaque mesure : je suis d’accord, je valide (ou pas), et une petite case supplémentaire : et je vais aider à le mettre en œuvre… »

En tant que citoyen (il insiste sur le qualitatif), il désespère cependant de ses contacts politiques. « L’ancien monde est un peu plus résistant que dans les rêves… Mais ça va vite, très vite. C’est comme l’image de la laitière (de Nestlé) : on l’a tous vue, on n’y croit plus, c’est pas comme ça qu’on fait des yaourts… On ne la supporte plus, la laitière – enlevez-nous cette pub qui nous prend pour des couillons ! »

Les entretiens avec Nicolas Chabanne s’achèvent en général sur Arthur Rimbaud – le notre aussi. Normal, l’hôtel du quartier Saint-Germain où il loge et reçoit les journalistes quand il est à Paris, a eu le poète pour client. Nicolas Chabanne cite Le Bateau ivre : « J’ai vu le soleil bas, j’ai vu, etc. Et j’ai vu quelques fois ce que l’homme a cru voir ! « Il insiste : « Ce que vous avez cru voir… » Et il commente : « Le monde est très facile à changer, si on accepte l’idée qu’en le regardant différemment, il commence déjà à changer. »

Franchement, quelle question poser après ça ? »

Francis BROCHET