LA PRESSE – C’est vrai, « C’est qui le Patron ?! »

04/01/2019 

« Commençons l’année avec l’histoire d’un succès.

 

Un succès qui avait commencé dans le monde du lait, en France, mais qui s’est étendu à d’autres secteurs alimentaires.

 

Une histoire de consommateurs qui ont sauté à pieds joints dans un projet rempli d’éléments surprenants, mais réussi. Un projet qui leur permet d’acheter du lait plus cher que le lait industriel habituel.

 

Oui, plus cher !

 

Mais ce prix convient aux consommateurs. Et il donne la chance à des producteurs agricoles de vivre décemment.

 

L’histoire de « C’est qui le Patron ?! », c’est en effet l’histoire d’une marque et de produits qui coûtent un peu plus que ceux des concurrents. Mais c’est une marque que les consommateurs ont adoptée depuis deux ans parce que ce qu’elle offre, en plus du lait – et maintenant de toute une gamme de produits alimentaires –, c’est la garantie qu’il est naturel, écolo et local et, surtout, surtout, que les agriculteurs responsables de ces productions sont assez payés pour prendre le temps de respirer et d’embaucher de l’aide.

 

D’ailleurs, sur l’étiquette de tous les produits, on l’écrit bien gros : « Ce lait rémunère au juste prix son producteur » ou encore, maintenant, « Ce beurre rémunère au juste prix son producteur » ou « Ces fraises » ou même « Ce steak haché ».

 

Apparemment, avis aux intéressés, la loi incontournable voulant que les consommateurs ne cherchent que du pas cher, toujours moins cher, n’est pas si universelle que ça.

 

Ce projet, lancé en 2016, est piloté par deux hommes d’affaires. Laurent Pasquier, un gars issu du monde de la techno. C’est lui qui fait les sondages sur Internet sous-tendant la mise au point des produits. Et Nicolas Chabanne, qui, installé en Provence, travaille depuis longtemps dans l’alimentaire, avec des initiatives pour vendre des fruits moches ou de petits producteurs. C’est beaucoup lui, le communicateur de la marque.

 

Quand il a lancé « C’est qui le Patron ?! », parce qu’il ne pouvait pas croire que les consommateurs n’accepteraient pas de payer la petite différence de prix suffisante pour aider les fermiers à vivre correctement, il ne s’attendait pas à un tel succès.

 

« On rêvait de vendre 5 millions de briques la première année, a-t-il confié l’an dernier à Libération. On en a vendu 33 millions en 12 mois ! ».

 

La logique derrière le projet est assez simple ; c’est que les consommateurs sont prêts à aider par quelques centimes les producteurs durement touchés par les pertes de revenus liées aux réformes des marchés agricoles en Europe il y a trois ans. Mais encore faut-il prendre la peine de se renseigner avec précision sur ce que les consommateurs veulent et ce qu’ils sont prêts à débourser. C’est là que les sondages de l’entreprise jouent un rôle clé.

 

Parce qu’on ne parle pas de différence élevée. La brique d’un litre de lait UHT de « C’est qui le Patron ?! », premier produit du projet, coûte 30 centimes de plus que la brique industrielle. Donc environ 45 cents par litre. (Au Québec, où on boit un peu plus de 70 litres de lait par habitant par année, ceci ferait donc une différence d’environ 60 cents par semaine sur la facture d’épicerie.)

 

Ainsi, les sondages demandent aux consommateurs ce qu’ils veulent et combien ils sont prêts à payer pour s’assurer, par exemple, que le lait n’est pas produit par des vaches nourries aux OGM ou que les vaches vont au pâturage, etc. Ou que l’emballage de ceci ou cela est écolo, etc. Et aussi, évidemment, on demande aux consommateurs combien ils sont prêts à payer de plus pour s’assurer que les producteurs sont payés suffisamment pour avoir des temps libres et embaucher de l’aide.

 

Une fois que la société sait exactement ce que les consommateurs veulent et combien ils sont disposés à payer, on cherche des producteurs prêts à relever le défi pour mettre le lait ou le chocolat ou les fraises sur le marché au prix en question, sous l’étiquette « C’est qui le Patron ?! ».

 

Combinez à ça l’absence de frais de marketing. Juste du réseautage social. Et une adhésion des réseaux de distribution des grandes surfaces… Et vous avez un projet qui marche.

 

Je vous raconte ça non pas pour qu’on copie tous ici le modèle du grand succès de la marque française. Mais plutôt parce que cette histoire montre bien qu’il est possible de mettre sur le marché la production agricole locale avec des approches financièrement, écologiquement et humainement cohérentes. Et que, quand on cherche des solutions nouvelles pour concurrencer ou remplacer les modèles industriels existants, on peut en trouver.

 

Donc avis à ceux qui s’inquiètent de l’impact des nouveaux accords commerciaux sur la production agricole canadienne et québécoise en 2019. Même si les nouveaux produits qui arriveront sur le marché seront peut-être moins chers que ceux produits ici, ceci ne veut pas dire que les consommateurs ne se feront influencer que par le prix.

 

La mise en valeur des gens, des approches, des valeurs environnementales derrière les aliments est aussi un facteur capable de persuader les consommateurs d’acheter différemment. »

MARIE-CLAUDE LORTIE

Article original