18/06/2018
« On connaissait le commerce équitable façon café de Colombie. Désormais, on se préoccupe aussi du revenu de nos paysans. Les circuits courts se multiplient. Exemple avec le lait.
Les grossistes et la grande distribution qui imposent leurs prix au rabais et leurs exigences, Alain Cottebrune en a soupé. Depuis une quinzaine d’années, il vend ses produits en direct dans son petit magasin, La Verdura, installé à Saint-Vaast-la-Hougue, dans le Cotentin, à quelques kilomètres de sa ferme de 50 hectares. 1 euro le kilo de pommes de terre, 1,50 euro le chou-fleur ou la botte de radis, que du bio… « L’avantage n’est pas toujours énorme, mais je maîtrise mes prix et je sais où vont mes produits », raconte l’agriculteur.
Le ras-le-bol du normand n’est pas une exception. Très mal rémunérés (un sur trois touche moins de 350 euros par mois), les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à faire le pari du commerce équitable pour gagner leur vie : plus de 21 % des exploitations agricoles travaillent ainsi en circuit court. Ventes à la ferme, magasins de producteurs, drives fermiers, réseaux d’Amap, plates-formes Internet, marques équitables, les initiatives se multiplient, portées par le regain d’intérêt des consommateurs pour une alimentation plus saine, traçable et locale.
Ce mouvement n’a pas échappé à la grande distribution, qui ouvre désormais ses portes à des labels d’un genre nouveau. Carrefour ou Auchan, par exemple, référencent « Paysans d’ici », marque créée par la Scop Ethiquable : farines, légumineuses, confitures, jus de fruits bio et autres. « En moyenne, 49,80 % du prix revient au producteur », explique le cofondateur Rémi Roux.
Une démarche similaire à celle mise en place par l’enseigne Biocoop, dont la gamme « Ensemble », solidaire avec les producteurs, représente aujourd’hui 12 % de ses ventes et fait vivre 2 700 exploitations. Dans la région lilloise, l’enseigne O’tera (4 magasins) a, depuis dix ans, supprimé les intermédiaires. En rayon, elle affiche pour chaque produit sa ferme d’origine et le prix auquel il lui a été payé. « Nous n’avons pas augmenté nos marges depuis notre lancement et chaque magasin est libre de choisir ses fournisseurs », explique Guillaume Steffe, le Directeur Général.
Pour reprendre la main, les agriculteurs n’hésitent plus également à se lancer eux-mêmes. C’est le cas par exemple des producteurs de lait qui se regroupent pour créer leurs propres marques, comme « Faire France », pionnière sur le marché. Toutes rémunèrent l’éleveur au-dessus des prix du marché et du prix moyen du coût de production du litre de lait (environ 33 centimes). Mais on observe de sérieux écarts, comme le montre notre enquête. Un Intermarché, avec sa force de frappe, fait mieux qu' »En direct des éleveurs », qui a dû investir dans la construction de sa laiterie.
La coopérative d’agriculteurs vendéenne « Agri-Éthique » a, elle, pris le taureau par les cornes en 2013 en lançant des contrats tripartites de trois ans qui fixent les prix et les volumes de vente de blé entre les agriculteurs, les meuniers et les boulangers. « Nous avons décidé de proposer un modèle économique différent, fondé sur un prix équitable à tous les maillons de la chaîne. Il n’y a plus de mauvaise surprise sur les prix puisqu’ils sont garantis et non plus indexés sur les fluctuations du marché », explique Ludovic Brindejonc, son Directeur. Fort de son succès – plus de 1 000 agriculteurs et 700 boulangers sont aujourd’hui engagés dans la démarche –, « Agri-Éthique » étend désormais le concept à la vente d’œufs et de viande porcine.
Internet n’est pas en reste. Les sites de vente en circuit court, qui permettent de faire ses courses en quelques clics, battent leur plein : « Le Comptoir Local », « Poiscaille », « Okadran », « Les Colis du Boucher »… « Les producteurs apprécient car ils fixent eux-mêmes leurs prix et n’ont qu’à s’occuper de la récolte et de la livraison de leurs produits », observe Hélène Binet, responsable d’une ruche à « La Ruche qui dit oui ». Sur ce site créé en 2011 et qui compte 210 000 membres et 5 000 producteurs, les clients commandent leurs produits fermiers en ligne, puis les récupèrent chaque semaine dans un point de distribution près de chez eux. Sur chaque vente, la start-up prélève une commission totale de 16,70 %, les 83,30 % restants revenant au producteur. De quoi mettre du beurre dans les épinards.
Marque par marque, ce que touche l’éleveur sur un litre de lait
- « Faire France » : 45 cts (45 % du prix de vente)
Pionnière, cette société détenue par des agriculteurs vend son lait équitable depuis 2013. Disponible en supermarché partout en France, elle a écoulé plus de 9 millions de litres de lait en 2017 et rassemble plus de 550 éleveurs. Le prix payé au litre (calculé pour permettre au producteur de dégager 1,5 Smic par mois) comprend les bénéfices redistribués aux adhérents. Sur 99 centimes (prix public), l’éleveur en perçoit 45.
- « Les Éleveurs vous disent merci ! » : 44 cts (50 % du prix de vente)
C’est la marque d’Intermarché, par ailleurs propriétaire de la laiterie de Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique), qui gère la collecte. Ce lait s’est déjà vendu à plus de 2,5 millions de litres en à peine deux mois. Sur chaque brique vendue 88 centimes, la laiterie reverse une prime à l’organisation de producteurs, qui la distribue à ses adhérents. Au final, ceux-ci touchent 44 centimes par litre (prix d’achat du lait + prime).
- « Cœur de Normandie » : 39 cts (43 % du prix de vente)
Créée à l’initiative de la FDSEA de la Manche, la société est distribuée dans près de 300 points de vente, surtout en Normandie et en région parisienne. Là encore, les producteurs sont intéressés aux bénéfices, mais doivent participer à des animations en magasins pour promouvoir la marque, qui leur permet de valoriser leur lait à 39 centimes (prix d’achat + rémunération complémentaire), pour un prix public de 89 centimes.
- « C’est qui le Patron ?! » : 39 cts (39 % du prix de vente)
Déjà plus de 45 millions de litres de lait écoulés et un référencement dans toute la France dans plus de 12 000 supermarchés pour cette brique de lait, lancée en 2016 sur un cahier des charges élaboré par questionnaire auprès des consommateurs. Les producteurs touchent un prix garanti de 39 centimes (sur 99 du prix public), mais cela peut grimper à 42 centimes grâce aux primes de qualité ajoutées par la laiterie.
- « En direct des éleveurs » : 35 cts (37 % du prix de vente)
La seule initiative réellement sans intermédiaire, puisqu’elle a investi dans la construction de sa propre laiterie à Remouillé, où est conditionné le lait dans des emballages éco-conçus et recyclables. Le lait, traçable grâce à un QR code sur l’emballage, est produit par une vingtaine d’exploitations et vendu pour l’instant dans les magasins U et E.Leclerc en Bretagne, dans les Pays de la Loire et en Nouvelle-Aquitaine. »