Lancé fin 2016, ce lait conçu par des consommateurs s’est vendu à 47 millions de litre, soit 7 fois plus qu’attendu. La consommation responsable gagne-t-elle les marchés de masse?
18/04/2019
C’est qui le patron du rayon lait? C’est peut-être bientôt cette brique de lait en apparence banale et vendue 30 centimes plus cher que les produits équivalents. Un produit qui ressemble à n’importe quel autre et qui coûte plus cher… Voilà a priori une bien mauvaise stratégie commerciale.
Mais ce lait n’est pas n’importe quelle référence. Il a été imaginé par l’association Les Gueules Cassées qui en a l’idée en 2016 en discutant avec Carrefour. Leur idée: lancer un lait dont le prix serait fixé par le consommateur sur internet, afin de faire en sorte de mieux rémunérer les producteurs. Le résultat c’est donc une brique de lait vendue 1 euro contre 70 centimes pour les produits les moins chers du rayon en général. Et sous la marque « C’est qui le patron ».
Et 18 mois plus tard, le pari semble gagné. La brique de lait fait un carton. « C’est le plus gros succès depuis 30 ans pour un produit lancé par une nouvelle marque », assure Nicolas Chabanne, le patron de l’association Les Gueules Cassées à l’origine du projet avec Carrefour. Et le tout sans campagne marketing, ni équipe commerciale, simplement avec le bouche à oreille, le buzz sur internet et l’énergie de Nicolas Chabanne, figure très médiatique de la consommation responsable.
Une vingtaine de nouveaux produits
Et effectivement, les chiffres impressionnent. Ce sont 47 millions de briques de lait qui ont été vendues depuis 2016 alors que Carrefour et l’association espéraient en vendre 7 millions. Et il y a ces chiffres qui intéressent particulièrement les distributeurs: avec 41% de ré-achat, c’est l’innovation la plus ré-achetée en 2017. Ou encore la brique a permis un taux de recrutement (part de nouveaux clients du magasin) de 45% quand ce taux est de 5% en général pour une nouveauté.
Au départ seulement présent chez Carrefour, le lait est désormais vendu par Leclerc, Intermarché, Super U, Casino et même Lidl. Et la marque a depuis lancé une vingtaine de nouveaux produits sous la marque « C’est qui le patron »: des pizzas aux jus de pomme en passant par les compotes et les oeufs.
La consommation dit responsable serait-elle en train de toucher une plus large frange de la population en passant des « militants » au très grand public? C’est sans doute plus compliqué que ça. D’abord parce que si le succès du lait est indéniable, il ne représente pas 1% des quantités vendues au globale en 2017. « C’est un très beau succès, reconnaît Olivier Dauvers, expert de la grande consommation, mais ce n’est pas non plus devenu normatif, il ne faut pas rêver, il n’a pas vocation à devenir dominant. S’il parvient un jour à 10% des ventes, ce sera déjà un carton extraordinaire. »
La norme reste la promo
Et pas sûr non plus que les autres produits rencontrent le même succès. D’abord parce que sur le lait, l’effort financier (30 centimes de plus par brique) est acceptable par les consommateurs. Et aussi parce que la cause soutenue (aider les producteurs en difficulté) est bien connue des Français. « Le lait c’est un cas d’école symbolique, selon Olivier Dauvers. Les consommateurs ont été très touchés par le sort des producteurs laitiers. Maintenant avec le jus de pomme ou la pizza, ça jouera moins. Les gens ne connaissent pas les producteurs de pomme et la pizza c’est un produit fabriqué. »
Et si le consommateur est effectivement en quête de sens dans sa consommation, la tendance est diffuse: pour certains ce sera le marché paysan, pour d’autres ce sera les bananes bio en grande distribution ou des vêtements Made in France. Mais rarement tout à la fois. D’abord parce que le porte-monnaie des consommateurs n’est pas extensible et que la consommation responsable, cela coûte cher. Ensuite parce qu’aujourd’hui, la norme pour les consommateurs reste la quête des promos plus que celle des produits qui ont du sens. Et les changement d’habitude de consommation sont en général extrêmement long.