TIMES – Le patron d’une association qui sauve les producteurs laitiers français

                                                           Traduction de l’article original – Not-for-profit boss saving French dairy farmers

 
Si vous vouliez révolutionner l’économie française, vendre du lait pourrait sembler un point de départ étrange. Mais n’essayez pas de dire ça à Nicolas Chabanne. Nicolas Chabanne, 53 ans, est le fondateur de « C’est qui le patron ? », une coopérative qui a transformé la façon dont de nombreux Français achètent leur lait. Cette année, il prévoit d’en vendre plus de 77 millions de litres, grâce à un modèle commercial unique qui rassemble les agriculteurs et leurs clients. Ses origines résident dans une simple question posée il y a sept ans, lorsque le nombre d’agriculteurs se suicidant à cause de la chute des prix et de la hausse des coûts a augmenté : les consommateurs seraient-ils prêts à payer quelques centimes de plus par brique de lait s’ils savaient que l’argent supplémentaire contribuait à assurer un salaire décent aux producteurs laitiers en difficulté ?  

Photo - Times - C'est qui le Patron - Mélanie Bahuon - Neutral Grey

           Crédit : Mélanie Bahuon – Neutral Grey 

La réponse s’est avérée être un « oui » retentissant, à tel point que « C’est qui le patron ? » vend maintenant non seulement du lait, mais plus de 20 autres produits alimentaires, des barres de chocolat aux sardines en conserve, des pizzas surgelées et de la compote de pommes. Le chiffre d’affaires annuel de la coopérative a dépassé les 100 millions d’euros (87 millions de livres sterling), ce qui n’est pas mal étant donné qu’elle n’a pas de magasins ou d’installations de production propres, pas de budget publicitaire et un personnel d’un peu plus de deux douzaines.  Mais Nicolas Chabanne, qui aime sortir des sentiers battus – ou du carton – n’est toujours pas satisfait. Il rêve d’appliquer son modèle coopératif à d’autres secteurs de l’économie française. « Il s’agit de transformer les consommateurs d’acteurs passifs en acteurs actifs », estime-t-il. « C’est un modèle pour l’avenir ». Nicolas Chabanne expliquait sa vision d’une autre forme de capitalisme alors que nous nous dirigions à bord d’un TGV de Paris à Nantes, à 230 miles au sud-ouest, pour rencontrer l’un des premiers agriculteurs à s’inscrire au programme.  
 
« C’est qui le patron ? » est né après une conversation que Nicolas Chabanne a eue en 2016 avec un fonctionnaire du ministère de l’agriculture.  L’entrepreneur s’était déjà fait un nom avec Gueules Cassées, une entreprise qu’il a créée en 2013 pour vendre des fruits et légumes malformés auxquels les supermarchés ne toucheraient pas normalement. À la fin de leur conversation, la conversation s’est tournée vers la crise économique qui afflige l’industrie laitière et le fonctionnaire s’est demandé s’il avait des suggestions pour y faire face. « Je lui ai demandé de combien les agriculteurs avaient besoin de plus pour leur lait : 1 €, 2 €, quelques centimes ? Nicolas Chabanne a rappelé. « Il ne savait pas – ce qui était un peu surprenant. » Nicolas Chabanne a donc fait ses propres recherches et a découvert que l’ajout de huit centimes le litre, au prix qu’ils étaient payés suffirait à les sauver.  
 
Sachant qu’un Français moyen achète 50 litres de lait par an, cela ne coûterait à chaque consommateur que 4 € de plus par an. Pour la première fois, nous avions calculé de combien les agriculteurs avaient besoin pour gagner leur vie », a-t-il déclaré. Déterminé à faire sa part, Nicolas Chabanne est allé voir les grandes laiteries pour les encourager à augmenter les prix qu’elles payaient à leurs producteurs, mais personne n’était intéressé — alors il a décidé de créer sa propre marque à la place. Plutôt qu’une entreprise commerciale classique, il s’agit d’une coopérative à but non lucratif : ses 13 000 sociétaires (membres), qui ont payé 1 € symbolique chacun, décident des règles, qui incluent l’interdiction des aliments génétiquement modifiés et une exigence que les vaches passent au moins quatre mois de l’année à paître à l’extérieur. Ils fixent également le prix auquel le lait est vendu — qui est imprimé sur le devant du paquet. Actuellement, il se vend 1,27 € le litre, contre 1,25 € pour une marque commerciale française typique (et un prix moyen équivalent de 1,40 € le litre au Royaume-Uni). Il n’y a pas d’actionnaires, et les sept centimes que « C’est qui le patron ? » les prises de chaque litre sont réinvesties dans l’entreprise et utilisées pour rémunérer Nicolas Chabanne et son équipe.  
 
Le premier grand distributeur à s’être engagé est Carrefour, à qui Nicolas Chabanne fournissait déjà ses « fruits moches ». La plupart, sinon la totalité, des autres magasins ont suivi. « Nous espérions vendre cinq millions de litres. A la fin du premier mois, nous étions à un million et à la fin de la première année à 33 millions », a-t-il déclaré. « Et tout cela sans publicité ni budget marketing. »   
 
Le programme s’est avéré être un salut pour les quelque 3 000 producteurs qui ont adhéré, dont Régis Mainguy, 45 ans, qui, avec son frère et son cousin, s’occupe de 130 vaches dans une ferme à l’est de Nantes qui est dans leur famille depuis 1873. Depuis que Régis Mainguy a commencé à cultiver il y a deux décennies, l’industrie laitière a traversé une série de crises, qui ont réduit le nombre d’exploitations dans sa région de 18 en 2000 à seulement six aujourd’hui. En 2016, la vie était devenue particulièrement dure : il perdait 5 à 6 centimes sur chaque litre de lait et, pour joindre les deux bouts, était obligé de vendre des animaux et de vivre de l’argent que sa femme, Emmanuelle, 47 ans, gagnait comme infirmière.  Les choses ont encore empiré après qu’il ait accordé une interview à la télévision française dans laquelle il critiquait la laiterie à laquelle il vendait son lait. Il a répondu en lui envoyant une lettre annonçant qu’il mettrait fin à leur relation. « Ils ont dit que j’avais dénigré leur marque », a-t-il déclaré. D’autres laiteries ont également refusé d’engager quelqu’un qu’elles considéraient comme un fauteur de troubles. Nicolas Chabanne a eu vent du sort de Régis Mainguy et lui a envoyé un message sur les réseaux sociaux. Il a ensuite rendu visite à la ferme, a expliqué comment « C’est qui le Patron ?! » travaillait et l’a inscrit. Régis Mainguy et sa femme n’ont pas regardé en arrière depuis. « Cela a complètement changé nos vies », a déclaré Emmanuelle. « J’ai un mari qui est content d’aller travailler et qui peut à nouveau dormir. Nous travaillons aussi maintenant avec des gens qui ont les mêmes idées que nous, la même foi en l’équité.

 
[…]

 
C’est un sentiment partagé par trois sociétaires locaux qui nous ont accompagnés lors de la visite. « Cette initiative est vraiment admirable », a déclaré l’un d’eux, Léo Carvalho, 24 ans, étudiant en master de commerce. Quand on travaille, c’est pour se nourrir, mais les agriculteurs travaillent pour nous nourrir. C’est scandaleux qu’ils se retrouvent en difficulté financière. Pour Miguel Rehin, 45 ans, ancien infirmier, l’attrait est le contact entre producteur et consommateur. Ai-je vraiment besoin d’un intermédiaire pour acheter du lait fabriqué à 50 mètres de chez moi ? a-t-il demandé ? Alors quel secteur Nicolas Chabanne a-t-il l’intention de perturber ensuite. Je lui demande, alors que nous reprenons le train pour Paris. La réponse me surprend : « Les maisons de retraite », me répond-il.  
 
En France comme ailleurs, le personnel est rare et souvent mal payé, tandis que les proches de ceux qui vivent dans des foyers tiennent à s’assurer qu’ils sont correctement traités – ce qui, selon lui, rendrait mûr pour une co-modèle opératoire.  Le saut du lait au fournisseur de soins semble énorme, mais si quelqu’un peut le faire, je suppose que Nicolas Chabanne le peut. 

Pour retrouver l’article du Times : Not-for-profit boss saving French dairy farmers

Auteur : Peter Conradi – The Sunday Times – 14 Mai 2023 

Merci à Philippe, sociétaire CQLP pour sa traduction en français de l’article. 😊

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